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02/10/2013

La femme-poulet et la fille-mule

Au fond de la cuve, cent femmes coquettes attendent la femme-poulet en aspirant des montagnes de basses. Certaines d’entre elles, barbues jusqu’aux os, fument des orgues inanimées.  Des appareils photos énormes, des billets doux enroulés comme des escargots, des petits sachets roses passent entre leurs mains tandis qu’à distance, dans une cellule miroitante, la femme-poulet se prépare. Peu convaincue elle plante dans son front trois plumes de flamande, ajuste un bec de lièvre sous son bec,  les rumeurs de la cuve lui parviennent. Elle soupire face au miroir parfaitement ébréché. Elle reconnaît la voix de la fille-mule. La fille-mule à distance lui adresse un message, un chant plein d’amour rugueux, et peu à peu, d’autres voix rauques se joignent à la sienne. 

 

 

 

« Trente bulbes blêmes en mesures aberrantes, romps, romps et tire-toi les dents. Pétrifie, exorbite ton œil blanc.  Offre-nous. L’œil blanc. »

 

 

 

À moindre distance de la cuve, enroulée dans son costume d’éponge, la femme-poulet court. Un petit caniche à l’arrière-train brisé aboie mécaniquement derrière elle. Il est coiffé d’un voile de demoiselle d’honneur et ses yeux rouges, clignotants, éclairent timidement le dos glabre et glacé de la femme-poulet.

 

 

 

Elle court dans le couloir, dans le couloir-colon, et aperçoit devant elle des filles s’affairant vers l’entrée de la cuve. Le couloir répond au choc de leurs talons pressés en crachant des traînées de rayons fluorescents. Les faisceaux, tenaces, agrippent les chevilles ramollies des arrivantes, et les invitent à se coucher sur le ventre. Sur leur flanc égaré, le sol imprime des volutes boueuses et malodorantes.

 

 

 

La femme-poulet n’est pas dupe. Souple et agacée elle se déplace sur les mains en évitant de se faire prendre par les lumineuses. Elle entend le murmure impatient des spectatrices et des perforeuses qui l’appelle. Elle progresse dans le couloir, attentive aux mouvements des masses engluées, étrangère aux murs recouverts de coupures de journaux et de poèmes à scandale, narguant les différentes périodes de sa vie. La femme-poulet a été retrouvée en décembre dans une poubelle d’un quartier de pomme. Caduque à 15 ans, ses cheveux mélèzes perdus sourient sur son oreiller. Née sans cordon ombilical elle a toujours chanté le poing avalé de sa sœur.

 

 

 

Nous étions toutes sur la piste lorsqu’elle est arrivée. Des verts luisants picoraient ses poignets et pénétraient les pores de son peignoir translucide. Trois filles devant moi se pinçaient le nombril avec des tenailles velues pour ne pas rire. Une femme à moustache, les pupilles effervescentes, chantonnait de son grain ultra-poulpe 

 

 

 

« Trente bulbes blêmes en mesures aberrantes, romps, romps et tire-toi les dents. Pétrifie, exorbite ton œil blanc.  Offre-nous. L’œil blanc. »

 

 

                  

La femme-poulet s’est assise en tailleur sur le bord de la piste. Elle manipule à présent des billes, le visage éclairé, elle manie lentement nos sourires effrayés, elle se raye, puis elle râle en continu jusqu’à ce que l’air se liquéfie.

 

 

 

Dans la cuve, la lumière s’est depuis peu attendrie. On ne perçoit plus que des muscles redoutables jonglant avec des poupées à l’effigie de la femme-poulet. Un scénario capiteux s’élabore et progresse d’un coin à l’autre de la cuve, poupées et spectatrices évoluant dans une immense saga érotique, teintée d’un égotisme froid. Il y a de beaux efforts dans les tenues et les maquillages déchirés des participantes. Les dialogues sont d’une complexité à couper le souffle et les héroïnes, trente femmes-poulets de chair et de plastique, seront dévorées les unes après les autres dans la nuit.




Lise N. (2006) texte initialement publié sur le site Inventaire/Invention, puis dans le recueil "Les Actes Amanites" (Le Calepin Jaune, 2008). Mise en musique dans le CD "Faire cailler le lait avec du sang de caille" (Le Cluricaun, 2008). 

 

22/09/2013

Le traitement amoureux

Pourquoi ai-je utilisé en 2008 ces mots : dents transparentes qui cassent

En 2013 j'en récolte les fruits, je comprends,

Dans mon filet des anxieux tombent tous les jours

En quête d'une solution, d'un allègement,

Savais-je en 2008 quelles graines j'étais en train de semer

Et l'importance de ces visites, 5 ans plus tard,

Ce miroir d'inquiétude et de solitude

Je préparais un rassemblement

De ressemblances

De frères édentés

Et aujourd'hui

Ca circule bien entre nous tu trouves pas

Sans nos dents l'air passe plus facilement

Quand tu reviens ici tu te dis ça elle me l'avais déjà dit il y 5 ans et je ne l'avais pas entendu

Moi non plus tu sais même si c'est moi qui te l'avais dit je ne l'avais pas entendu moi non plus

Il a fallu en passer par une sorte de dégradation pour nous entendre 

Nous nous étions programmés pour nous retrouver mais pour cela il fallait que quelque chose en nous se dégrade

C'est comme cela que je comprends notre amour

Une dégradation sans fin programmée à l'avance

C'est un traitement amoureux qui ne nous concerne qu'à moitié et qui fait qu'autour de nous tout se dégrade

Ce sont nos ornements qui se dégradent

Nos parades

Je suis sûre que tu comprends ce que je suis en train d'écrire à la seconde

Je t'ai rencontrée sur la place du village, tu es venue vers moi, tu avais les yeux bleus et nous avions la même taille, tu avais les cheveux courts comme moi avant, tu avais un filet de bave, tu insultais les gens qui te regardais et tu m'as demandé quelle était ma structure, de quelle nature était ma structure, est-ce que je suivais le même point que toi, et quand je suis partie tu m'as traitée de lâcheuse et tu m'as dit de ne pas te suivre, de ne pas finir comme toi

Je suis tombée en amour pour toi à la seconde

 

21/09/2013

Robot dentaire

J'ai dit qu'il n'y avait que des robots qui me lisaient, des robots, je suis seulement visitée par des robots, des amants de ferraille, ils me lisent profondément et ensuite ils recrachent des mots comme dents transparentes qui cassent, tous les robots dont la dentition laisse à désirer me visitent profondément, ce sont des robots particulièrement anxieux, dont la bile remonte par la gorge, les remontées acides dues à leur anxiété altèrent leur émail dentaire, ce sont des robots à soucis, ils sont soucieux de leurs soucis et de leurs dents, ils voient à travers leurs dents et se demandent jusqu'à quand elles tiendront, quand est-ce que ça va commencer à casser et surtout est-ce qu'il y a quelque chose à faire pour stopper cette dégradation, pour que l'émail blanchisse à nouveau, cela ferait un souci en moins, je partage cette inquiétude mes frères, ce n'est pas pour rien que j'ai utilisé des mots comme dents transparentes qui cassent et nous, mes frères de dents, ceci est mon miroir, ces dents transparentes, ceci est notre communion, je touche vos dents et vous touchez les miennes et tout devient plus léger.