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10/11/2015

La mer morte

J’étais un petit poisson dans la mer morte qui en a rencontré un gros, un gros poisson qui avait ses propres idées et qui a vu dans ma tête tout un tas d’idées, des idées qui lui ont donné des idées, en rencontrant ce gros poisson je me suis approchée. En me regardant de plus près, ce gros poisson a vu dans mon ventre un tout petit poisson. En le voyant il a pris peur, il a eu peur que ce tout petit poisson se noie dans mon ventre et que toutes mes idées volent avec. Ce gros poisson, en me regardant, m’a demandé de lui donner mes idées avant que le tout petit poisson ne les volent et ne les emportent dans sa mort. Mes idées se sont rabougries au moment même où ce gros poisson me les a demandées, il me les demandait en me disant que j’allais bientôt devenir bête à cause du tout petit poisson dans mon ventre, à cause des connections de ce tout petit poisson avec mes propres connections neuronales. Il me les demandait sous la menace de la bêtise, il me les demandait actant la mort de ma propre pensée. Quand le tout petit poisson est sorti de mon ventre, le gros poisson est revenu à la charge non seulement de mes idées, mais aussi de mes mots, des mots des autres que je transportais, il est revenu à la charge de tout ce qui pouvait apaiser son intarissable peur. Mais en même temps, comme ma pensée était déjà morte, il ne voulait plus m’approcher. Il m’adressait alors ses demandes à distance, dans toute sa hauteur, dans une posture qui ne facilite pas la relation duelle. Et il a voulu tout archiver. Il a voulu constituer une archive d’idées et de mots disponibles pour d’autres poissons, une sorte de temple exposant les mémoires des poissons morts, un temple-cercueil qui porterait son propre nom et qui lui permettrait de rester vivant dans la mer morte. Mais comme ma pensée était déjà morte, mes idées étaient mortes elles aussi et les mots des autres morts ne pouvaient plus sortir. Les mots des morts et mes idées mortes circulaient entre mon ventre et mes connections neuronales, provoquant des nœuds de toutes sortes. Et mon corps altéré par la parole mutante de mes morts et de leurs idées se faufilait dans la mer morte, surexposé aux regards des autres poissons. Aujourd’hui, je me lève et je vais travailler au cœur de la mer morte. Je vais propager mes idées de mort, instiller mes idées de mort au cœur des autres poissons.






Aujourd’hui, je me lève à l’idée de propager mes idées mortes aux moindres recoins de la mer morte, à l’idée de les colporter. Tous les poissons de la mer morte portent en eux les paroles des poissons morts et la rencontre est un dialogue d’archives. Les plus grands poissons de la mer morte archivent les archives des autres poissons. Les plus petits poissons endossent les idées d’archives des plus gros. Les archives sont en libre-accès.






La mer morte est un engrenage.





Elle engendre les tous petits poissons





Elle les engraine





Et leur apprend à nager





Et quand ils sont bien gros





Elle leur apprend à engendrer, à engrainer les plus petits poissons dans une course folle à l’archive.






Et toi, gros poisson, tu rentrais dans mon tout petit bureau, par surprise, tu passais derrière mon tout petit bureau, pour regarder ce que j’étais en train d’écrire, et toi, gros poisson, tu me demandais de te remettre les mots des morts que je transportais, pour les archiver. Tu aurais pu tout aussi bien me regarder vraiment et fouiller entre mes lèvres pour voir s’il y avait quelque chose à archiver là-dedans, s’il y avait aussi, là-dedans, une parole de mort à se mettre sous la dent, tu aurais vu, gros poisson, qu’effectivement là-dedans les paroles des morts étaient en train de se propager, de me grignoter, tu aurais vu à quel point ce conflit d’archives engendrait quelque chose de monstrueux qui se distillait lentement, tu aurais vu que là se trouvait ta seule raison de vivre.





(Texte de 2013 initialement mis en ligne sur le blog de l'Armée Noire)


Commentaires

Je m'en rappelle bien de ce texte, c'est un grand plaisir de le retrouver.
Merci Lise et portez-vous au mieux.

Écrit par : stecha | 16/11/2015

Merci Stecha, c'est à travers ce texte que nous nous sommes rencontrés et depuis nous ne nous quittons plus, comme quoi, l'excès de solitude a du bon !

Écrit par : Lise | 27/11/2015

Oui, Lise, la solitude a du bon si elle se pratique à plusieurs.
Sinon c'est la soeur siamoise garsse de la mort.

Écrit par : stecha | 04/12/2015

Les commentaires sont fermés.