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20/09/2022

In extremis (suite)

Tout ce qui sort ce matin n'a pas grand chose à voir avec intérieur extérieur. Un rêve plaqué sur le quotidien, ce n'est pas un ver poème qui perce un tunnel entre intérieur et extérieur.

Accumuler la matière / glaner les rêves / ce qu'il en reste / debout

Ce rêve paraît déjà vieux. Depuis que je t'ai trouvé. Toi toi mon moi mon toi toi toi mon moi. Le poème le plus neuf est souvent le premier, le plus ancien que l'on n'ait jamais écrit, automatique.

La danse. Se vider permet de faire apparaître des présences, de la matière qui a un goût très prononcé d'ancien ou d'en devenir. On ne sait plus si c'est loin avant ou après, c'est ça le « sans âge ». Pour que quelque chose circule entre intérieur et extérieur, il faut cette sensation de pression de l'espace et d'altération temporelle. Tout ceci se déploie au delà des habitudes qui poussent des ailes dans le dos. Il faut rassembler le désir pour éviter qu'il ne se disperse dans un flop, un battement d'aile dans la boue. Une botte qui écrase la bestiole. Un char qui roule par-dessus. Rassembler le désir, c'est trouver le calme dans la contrainte physique, respirer.

Se vider, c'est remplir ailleurs. Si je me vide, c'est que l'air se charge de mon intériorité. Le cadavre est un trop plein de corps, il est surexposé, il n'est plus contenu. Il se détache. Il se disloque. Le voir comme un pantin est une vue de l'esprit. Toute sa charge est à présent dans l'air. Le voir comme un pantin protège de la charge. Or, c'est bien la charge qui prend le public, ce n'est pas le vide. On dit que l'air se charge. L'air se charge de désir entre les amoureux. S'il se charge de désir c'est que les amoureux se vident. Il est possible de se vider complètement, cela peut faire l'objet d'une recherche artistique.

19:01 Publié dans Labo | Lien permanent | Commentaires (0)

01/04/2022

In extremis

Il y a cette image que l’on écrit avec ses blessures et avec sa respiration. Si l’on écrit avec ses blessures c’est parce qu’il y a cette circulation entre intérieur et extérieur. Mais nombre de poètes estiment que la poésie est plus une affaire d’exposition de son travail que de dévoilement de son intériorité. De la même façon j’estime que l’écriture a à voir avec le collectif. Exposer son travail peut prendre du temps car le travail est imposant. Il m’est nécessaire de le mener quotidiennement de manière quelque peu monacale. Mais je ressens souvent le besoin d’être bougée de l’extérieur – stimulée de façon quasi libidinale - par des lecteurs ou lectrices réelles ou imaginaires. Et je projette beaucoup de choses sur ce public, qui n’ont pas grand-chose à voir avec lui. C’est le rapport entre la lecture et l’écriture. L’écriture n’est pas une affaire de solitude mais cela peut en constituer l’une des modalités. Si je travaille l’écriture / la danse avec cette histoire de solitude, je considère que l’écriture / lecture a pleinement un rapport avec le lien social.  Si je la travaille avec une histoire personnelle de singularité, je considère qu’elle n’est qu’affaire de production d’un dispositif de sensibilisation. Dans tous les cas, ces deux directions ont une forte tonalité affective en direction du public. Or, écrire, ce n’est pas que cela. Ce n’est pas ce que je cherche, c’est souvent ce qui me tombe dessus, comme une mélodie qui me dépasse. Il y a cette dimension verticale qui transperce le rapport au public, et qui produit une altération de l’espace et du temps. Le public, c’est souvent soi-même bien souvent, c’est quelque chose dont il est presque impossible de sortir. A travers quelles techniques je me retrouve dans des dispositions pour être touchée par la grâce et pour la travailler en relation au public. Il s’agit là d’une question d’auto-méthode à laquelle on s’applique.

10:11 Publié dans Labo | Lien permanent | Commentaires (1)

03/12/2020

Sous quelles conditions peut-on terminer le tableau d'un peintre ?

 

Je réponds aux questions que Dominique Baron-Bonarjee aurait aimé poser à Masaki Iwana au cours de l'automne 2020, en prenant appui sur mon expérience du dernier stage de danse qu’il a organisé à la maison du butoh blanc (été 2018), de mes lectures de son ouvrage The intensity of Nothingness ou d’interviews. Mes réponses sont aussi liées aux enseignements de Moeno Wakamatsu qui tendent à se superposer / se combiner à ce que j’ai retenu de Masaki.

Voici quelques extraits.

 

"Ne rien faire n’est pas rien, il s’agit d’un processus consistant à annuler toute intentionnalité du mouvement (intentionnalité = action à réaliser / objectif à atteindre), mais aussi à réduire au strict minimum (rendre la plus silencieuse possible) l’influence de l’environnement sur le corps. Cela demande beaucoup de concentration et permet de développer une hyper-sensibilité et un temps intérieur. Le désir ou la volonté dans la danse n’a rien à voir avec l’intention de faire quelque chose au sens institutionnel du terme. Le désir ou la volonté renvoie plutôt au mouvement de la vie comme entité matérielle et à une prise sur le temps et l’espace (bouger l’espace). Il ne suffit pas d’être bougé par l’espace – il faut bouger l’espace à travers une orientation / direction qui est profondément adossée à la question du rapport au public[1]."

 

"La présence est à distinguer de la personnalité ou de la personne, elle renvoie à l’articulation temps / espace interne et temps / espace extérieur. Parfois, la présence se manifeste par une surexposition d’éléments de la trajectoire biographique, sociale et culturelle du danseur / de la danseuse qui ont contribué à le / la façonner, et qui vivent en lui / elle à l’état de germe, de larve ou profondément refoulés. Je dirais que la présence est un mécanisme de dévoilement de ces éléments[2]." 

 

"Le principe d’auto-méthode est au coeur de la danse buto, avec le nikutai (paysage intérieur qui doit sortir de soi pour entrer en relation avec le public) et les intentions obscures (que l’on a souvent, avec l’"école" de Hijikata, pensées comme la dimension essentielle du buto – buto de l’obscurité). Trouver sa propre méthode relève de l’expérimentation dans la danse, même s’il est possible d’élaborer une pensée ou un discours sur la danse à l’extérieur du studio. Il faut également travailler dans le studio et en-dehors pour assouplir son esprit et son corps (soft spirit / soft body), nous n’avons pas toutes et tous les mêmes dispositions."

 

"Dans la danse, lorsque le corps est fortement limité ou contraint, les éléments / présences qui vivent en lui - et qui habituellement sont tenus sous silence du fait des normes institutionnelles - peuvent émerger / se révéler sous diverses formes (une plante, un animal, une personne du sexe opposé, un démon)[3]." 

 

"Je n’ai pas d’attente particulière vis à vis du public. “Je considère chaque membre du public comme une frite que je suis amené à dévorer durant la performance”[4]. La danse se nourrit et se développe grâce à la présence du public et à la relation ou dialectique particulière qui se noue entre le public et le danseur / la danseuse[5].

"Il faut distinguer les émotions ordinaires qui se déploient dans la vie quotidienne (parfois sous l’évocation du souvenir), des émotions réelles qui émergent / sont perçues durant la danse. Nous associons habituellement les premières à quelque chose qui relèverait de notre intimité, or ces émotions ordinaires sont façonnées par la vie sociale / les institutions. Les émotions réelles qui émergent de la performance ont une qualité qui semble résister à toute forme de catégorisation / règle sociale. Durant la danse, des émotions ordinaires sont susceptibles d’intervenir et il faut alors les traiter comme des matériaux afin de ne pas en rester à un geste intentionnel et expressif. Laisser passer ces émotions normées comme des nuages poussés par le vent, afin que les émotions réelles (inqualifiables, indéchiffrables) puissent prendre le dessus[6]."

 

"La question du regard est très importante dans la danse. D’abord, il faut clarifier le regard qui se situe à la lisière de l’intériorité / l’extériorité du danseur / de la danseuse, afin que des paysages puissent circuler entre ces deux mondes. Cela implique d’adopter un regard intérieur très vaste, d’adopter le regard du public, etc. Finalement, si l’on développe le regard par intensification, c’est la danse elle même qui devient un regard ou un oeil pour le public[7]."

 

"J’ai rencontré la danse au moment où je ressentais une fatigue vis à vis du langage et de la pensée ordinaire[8]. Je tiens ici à distinguer le langage de la poésie. La poésie est davantage une affaire de respiration que de catégorisation du réel. En ce sens, la respiration doit être conçue (tout comme le regard) en tant que lieu de l’articulation entre intériorité et extériorité. Aujourd’hui, je m’efforce de ne pas oublier de respirer lorsque je danse, jusqu’à ce que la respiration se mette à danser, à se développer à sa façon. La danse et la respiration qui la sous-tend me permet de me réconcilier avec la poésie que j’avais délaissée en l’associant par erreur à un mouvement de la pensée. La danse serait plutôt un court-circuit de la pensée qui porte en elle la poésie, à savoir la respiration."

 

"Il y a ici un paradoxe apparent, l’invitation à traiter le corps comme un objet tout en s’interdisant de le traiter comme un instrument. Traiter le corps comme un instrument ou un employé consiste à l’amener à réaliser des actions intentionnelles. Traiter le corps comme un objet consiste à lui laisser son autonomie en tant qu’entité matérielle (lui laisser prendre une texture et des qualités qui lui sont propres, au-delà de toute intention)." 

 

"L’art de la transmission de la danse buto a été centrale dans ma vie de danseur. Il ne s’agissait pas pour autant de transmettre les enseignements d’un héritage fixé une fois pour toute par des fondateurs ou des adeptes. C’est plutôt une méthode qui invite au développement d’une auto-méthode pour chaque danseur / danseuse. Danser le buto aujourd’hui ne peut avoir le même sens que lorsque le buto a émergé au Japon dans un contexte de révolte sociale, politique et artistique.  Lorsque je recommande aux danseurs et danseuses de “tout oublier”, c’est aussi une façon de leur faire comprendre qu’il est nécessaire d’oublier au préalable toute image ou fantasme qu’ils ou elles auraient vis à vis du buto et de la culture japonaise. Je me souviens d’un danseur européen qui m’avait demandé de lui ramener du Japon du maquillage blanc afin qu’il puisse l’utiliser pour ses propres performances[9]. J’avais fermement refusé. Le sens de ce maquillage et la façon dont les japonais en ont fait usage dans leurs performances s’inscrit dans une trajectoire singulière. Une appropriation par imitation, déconnectée du contexte dans lequel un danseur se situe ne fait pas de lui un danseur buto, au contraire, elle l’éloigne de ce que j’entends par buto."  

 

"Breathe. Feel space. Forget everything."

 

[1] Phrase développée par Moeno Wakamatsu lors d’un stage en été 2019.

[2] Issu de ma propre expérience et de The intensity of nothingness

[3] The intensity of nothingness

[4] Phrase de Masaki durant le workshop été 2018.

[5] Mon interprétation

[6] The intensity of nothingness + mon expérience + phrase de Moeno Wakamastu parlant été 2019 du développement possible durant certaines performances du conflit physique vers le conflit émotionnel jusqu'au conflit spirituel (de l’annulation de la personne au dévoilement de la présence qui transcende la personne)

[7] Réponse à partir de l’enseignement de Moneo Wakamatsu, été 2020.

[8] Mon expérience depuis la poésie vers l’art corporel

[9] Anecdote de Masaki durant le workshop à mon attention afin que je cesse de « faire des grimaces » avec mon visage durant les improvisations.