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19/10/2013

La première fois que j'ai vu ta tête et ce regard vide qui vibrait comme les yeux d'un insecte, j'ai senti qu'il y avait matière à trouver du tourbillon

Nous avons beaucoup en commun toi et moi, nous n'avons pas les mêmes mots, ni les mêmes idées, mais nous avons en commun ce même tourbillon d'idées qui nous happe et nous met en transe, le contenu des idées n'est pas vraiment important puisque se sont toujours les mêmes, les mêmes que nous ressassons depuis des années, par contre, ce qui est intéressant, ce qui est commun à nous, c'est le mouvement que provoque leur ressassement. 

Je me demandais si tu avais un jour été pris dans le tourbillon d'un autre, provoqué par un je-ne sais-quoi peu importe, un tourbillon qui te serais tombé dessus sans que tu ne l'ais provoqué, mais tu étais là à ce moment-là, pris dans ce bouillon, dans ce tourbillon. Et depuis, tu ne peux véritablement prendre ton envol ou ton pied que quand le tourbillon de tes idées rassies et ressassées surgit à nouveau. Ce ne sont pas les idées en elles-mêmes qui t'emportent mais la ronde folle de ces idées, alors tu te revois planer au-dessus du tourbillon de l'autre tout en étant pris dedans.

Avec ce tourbillon qui nous est tombé dessus, nous ne serons plus jamais les mêmes, tu seras toujours en quête d'un tourbillon chez l'autre et surtout d'un tourbillon chez moi. Tu cherches ce tourbillon partout, tu cherches à le provoquer, mais moi aussi je cherche à provoquer chez toi ce tourbillon d'idées, je ne cherche pas à provoquer de nouvelles idées peu importe, ce qui m'importe c'est de me retrouver séquestrée dans ton tourbillon et suffisamment étourdie pour planer au-dessus, je cherche à me diviser, comme toi je regarde dans le vide et je me divise, regarde, nous sommes tous les deux ensemble en train de regarder dans le vide tout en étant pris dans le tourbillon respectif d'un troisième luron.

Les cerveaux lents d'un troisième luron.

 



02/10/2013

La femme-poulet et la fille-mule

Au fond de la cuve, cent femmes coquettes attendent la femme-poulet en aspirant des montagnes de basses. Certaines d’entre elles, barbues jusqu’aux os, fument des orgues inanimées.  Des appareils photos énormes, des billets doux enroulés comme des escargots, des petits sachets roses passent entre leurs mains tandis qu’à distance, dans une cellule miroitante, la femme-poulet se prépare. Peu convaincue elle plante dans son front trois plumes de flamande, ajuste un bec de lièvre sous son bec,  les rumeurs de la cuve lui parviennent. Elle soupire face au miroir parfaitement ébréché. Elle reconnaît la voix de la fille-mule. La fille-mule à distance lui adresse un message, un chant plein d’amour rugueux, et peu à peu, d’autres voix rauques se joignent à la sienne. 

 

 

 

« Trente bulbes blêmes en mesures aberrantes, romps, romps et tire-toi les dents. Pétrifie, exorbite ton œil blanc.  Offre-nous. L’œil blanc. »

 

 

 

À moindre distance de la cuve, enroulée dans son costume d’éponge, la femme-poulet court. Un petit caniche à l’arrière-train brisé aboie mécaniquement derrière elle. Il est coiffé d’un voile de demoiselle d’honneur et ses yeux rouges, clignotants, éclairent timidement le dos glabre et glacé de la femme-poulet.

 

 

 

Elle court dans le couloir, dans le couloir-colon, et aperçoit devant elle des filles s’affairant vers l’entrée de la cuve. Le couloir répond au choc de leurs talons pressés en crachant des traînées de rayons fluorescents. Les faisceaux, tenaces, agrippent les chevilles ramollies des arrivantes, et les invitent à se coucher sur le ventre. Sur leur flanc égaré, le sol imprime des volutes boueuses et malodorantes.

 

 

 

La femme-poulet n’est pas dupe. Souple et agacée elle se déplace sur les mains en évitant de se faire prendre par les lumineuses. Elle entend le murmure impatient des spectatrices et des perforeuses qui l’appelle. Elle progresse dans le couloir, attentive aux mouvements des masses engluées, étrangère aux murs recouverts de coupures de journaux et de poèmes à scandale, narguant les différentes périodes de sa vie. La femme-poulet a été retrouvée en décembre dans une poubelle d’un quartier de pomme. Caduque à 15 ans, ses cheveux mélèzes perdus sourient sur son oreiller. Née sans cordon ombilical elle a toujours chanté le poing avalé de sa sœur.

 

 

 

Nous étions toutes sur la piste lorsqu’elle est arrivée. Des verts luisants picoraient ses poignets et pénétraient les pores de son peignoir translucide. Trois filles devant moi se pinçaient le nombril avec des tenailles velues pour ne pas rire. Une femme à moustache, les pupilles effervescentes, chantonnait de son grain ultra-poulpe 

 

 

 

« Trente bulbes blêmes en mesures aberrantes, romps, romps et tire-toi les dents. Pétrifie, exorbite ton œil blanc.  Offre-nous. L’œil blanc. »

 

 

                  

La femme-poulet s’est assise en tailleur sur le bord de la piste. Elle manipule à présent des billes, le visage éclairé, elle manie lentement nos sourires effrayés, elle se raye, puis elle râle en continu jusqu’à ce que l’air se liquéfie.

 

 

 

Dans la cuve, la lumière s’est depuis peu attendrie. On ne perçoit plus que des muscles redoutables jonglant avec des poupées à l’effigie de la femme-poulet. Un scénario capiteux s’élabore et progresse d’un coin à l’autre de la cuve, poupées et spectatrices évoluant dans une immense saga érotique, teintée d’un égotisme froid. Il y a de beaux efforts dans les tenues et les maquillages déchirés des participantes. Les dialogues sont d’une complexité à couper le souffle et les héroïnes, trente femmes-poulets de chair et de plastique, seront dévorées les unes après les autres dans la nuit.




Lise N. (2006) texte initialement publié sur le site Inventaire/Invention, puis dans le recueil "Les Actes Amanites" (Le Calepin Jaune, 2008). Mise en musique dans le CD "Faire cailler le lait avec du sang de caille" (Le Cluricaun, 2008).